Je faisais un outil interne à la banque ou je bossais, il s'agissait de faire plusieurs trucs autour de la cash balance sheet générale de la banque.
Un jour une fonctionnalité était demandée, pouvoir prévoir l'évolution du pognon dans le temps. Au bout de quelques réunions vite fait, le reste des décisionnaires a fini par comprendre que faire ça allait demander de se poser plein de questions, mais ils n'y avaient pas du tout réfléchi.
A un moment j'ai demandé a d'autres de l'équipe si il était prévu de voir a quel point le modèle prédictif était en accord avec le monde réel en mesurant ce qu'il donnait sur des données historiques. Histoire d'avoir de quoi l'améliorer au fil de l'eau et de savoir a quel point on est a côté de la plaque.
Bof, c'est pas demandé, ni maintenant ni pour plus tard. Ils veulent juste une courbe qui dit en gros comment ça devrait évoluer. le détail, c'était pas prévu.
ça m'avait rappelé quand je bossais dans une startup sur l'éducation faite avec des livres numeriques, il était question a un moment donné de faire un sondage et d'afficher ses résultats. Pareil, devant les subtilités des périmètres, le choix de ce qu'on comptait comme étant une réponse valide ou pas, les proportions, les qualités, savoir ce qui était attendu de la fonctionnalité pour n'en faire qu'une ébauche s'est révélé un choc des cultures.
voir la conférence de Ploum où il détaille des expériences de travail absurdes mais courantes m'a paru incroyablement familier après plus de 10 ans de métier a faire des prestations de développement web. Malgré des prétentions de méthodes de développement agile ou de slogans à base de grande famille, Il est saugrenu de demander des précisions, dans quel but, pourquoi faire ce que l'on fait. Vous n'avez pas le droit de dire pourquoi ou de dénoncer l'absurdité des choses qui se produisent dans le milieu du travail. Ce serait aussi étonnant que si un esclave demandait à ce qu'on lui parle poliment.
"Si je devais noter cette réunion c'est pour moi un zéro sur vingt, une totale perte de temps, pas de résolution de problème, pas de soulèvement des difficultés ou de piste pour avancer, juste de la discussion informelle, la prochaine fois ne m'invitez pas."
J'ai admiré ce collègue qui a sorti ça après une réunion où avec trois personnes de la boite du client du client et nous 4 freelances nous étions déplacés dans les locaux pour finalement ne rien faire avancer. C'était la première fois que je voyais ce genre d'expression de ras le bol en face des employés avec qui on travaillait. Cela n'a bien sûr jamais eu lieu avec des gens hauts placés, ceux ci étant souvent trop occupés à faire autre chose.
"T'es content de toi d'avoir réuni 40 personnes a 700 balles la journée juste pour causer de tout et de rien pendant 2 heures ? Je te raconte pas le gaspillage" Disait un autre très ami avec le manager des équipes, ce qui l'a amusé plus qu'autre chose.
"Cette réunion aurait pu être un mail. " Ce genre de phrase est réapparu pendant le covid où les visios conférences se sont répandues comme une épidémie de sarscov.
puis j'ai lu le livre de david graeber, celui détaillant son travail sur les bullshit jobs qui sont très répandus et méconnus. La productivité par personne ayant grandement augmenté grâce a des tas d'avancées et des luttes pour les droits des travailleurs et travailleuses, le modèle de société du capitalisme ultra libéral tardif n'a lui pas beaucoup changé ses structures d'autorité depuis l'ère industrielle.
Puisqu'il faut beaucoup moins de gens pour subvenir aux besoins de tout le monde et pas seulement de quelques uns, il y a de moins en moins besoin de travail par personne pour que tout le monde vive correctement. Mais il ne faudrait pas non plus que les gens prennent un peu trop de bon temps si ils ne bénéficient pas de privilèges de naissance, sinon on ne saurait plus qui est ce qui est vraiment important, qui est l'élite de la société, celle dont le train de vie doit être absolument au dessus du reste de la plèbe, vous savez bien : des gens qui ne sont rien.
Résultat, les gens sont "libres d'obéir, obligés de réussir" comme le souligne une des variantes du management allemand de 1940.
Les promesses de l'IA générale tardent à se réaliser, écoutez donc les supplices des dirigeants de quelques unes de ces boîtes : allez bro, fais moi confiance on y est presque, donne moi juste 200 trillions de dollars, on va y arriver !
En faisant un peu de recherches sur les facettes de la pauvreté ou les causes du plus gros défi du siècle auquel l'humanité doit faire face, le changement climatique, on se rend compte qu'il y a déjà bien assez de choses existantes pour éradiquer la misère humaine ou les, et que ce n'est pas parce qu'on manque d'astuce ou d'information sur comment on doit résoudre ces problèmes pour les résoudre. Il faut des changements dans beaucoup d'endroits, pas seulement dans les pratiques de beaucoup de monde, dans de nombreux angles morts invisibles du grand public, et surtout à des endroits stratégiques gardés par des personnes bourrées de privilèges, de pouvoir, responsables de gros rouages du monde, de chaines d'approvisionnements, de décisions sur les infrastructures, mais pas de chance, ce sont aussi des gens gavés de mépris pour l'humanité dans son ensemble. Donc les choses avancent très lentement, et trop peu rapidement pour éviter les pires catastrophes. Sans doute que certains sont persuadés qu'ils et elles seront bien a l'abri de tout ce que documente l'ensemble de la communauté scientifique dont le GIEC rapporte une synthèse des travaux régulièrement.
Déjà il y a quelques dizaines d'années, l'informatique aurait pu bien plus largement bouleverser la prise de pouvoir et le partage des connaissances, l'autonomie, l'émancipation le lettrisme, l'illectronisme même. Mais qu'observe on ? Pas une émancipation numérique, au contraire. La plupart des gens sont des consommateurs du numérique sans rien y comprendre, avec le moins d'autorisation de modifier ou de partager les choses en dehors des nuages magiques dans la plupart des produits.
C'est pour notre bien, j'imagine, si en plus ces produits numériques se merdifient et servent en plus de centre de renseignements pour des jeux politiques de suprémacistes en tous genre, pas seulement aux USA.
La souveraineté numérique reste une chimère dans les administrations alors que cela fait plus de 10 ans que le terme est incanté et gesticulé comme un rituel pour faire tomber la pluie, tout en mettant un maximum de windows dans les mains de toute personne qui passera un quart de sa vie sur les bancs de l'école.
