Prologue
C'était une belle
fin d'après-midi. Un soleil blanc éclairait les vieux bâtiments
de la Cité Internationale d'une lumière pâle, et il
faisait étonnamment doux pour un mois d'octobre. Une petite brise glissa sous les manches de son éternelle chemisette blanche, hérissant le duvet de ses bras, et balaya sa frange. En fermant les yeux, il pouvait presque imaginer qu'on était au printemps. Mais non, l'hiver approchait, et avec lui son lot de nuits glacées, dont une bonne partie qu'il ne passerait pas au chaud dans son lit, de toute évidence. A cette idée son humeur s'assombrit, et le petit sourire distrait qu'il arborait s'éteignit. Il remonta le courant d'un flot d'étudiants
de toutes origines qui convergeaient vers le self du campus. " Tiens, salut, Deiz ! " Une voix de fille. Il leva les yeux et reconnut, trop tard, une des étudiantes qui suivait le même cours d'algèbre linéaire que lui. Le temps qu'il réalise qu'elle l'avait salué, elle l'avait déjà dépassé et se dirigeait avec les autres vers le restaurant. Il balbutia un " bonjour " stupéfait dans le vide, et resta un moment interdit. Comment pouvait-elle connaître son prénom ? Lui aurait été bien incapable de donner celui de cette fille. Il ne faisait pas spécialement attention à ses camarades de cours, et n'en voyait aucun pendant son temps libre, le peu de temps libre qu'il avait. Éviter les contacts, encore une fois. Ne pas se faire remarquer. Rester dans l'ombre. Une règle d'or qui régissait sa vie. Toute sa vie, et depuis toujours. Légèrement déprimé
par cette rencontre manquée, il rejoignit sa Maison d'accueil en
pressant le pas. Monta quatre à quatre les marches de ses escaliers
ridiculement étroits, jusqu'au dernier étage, sous les toits,
où le centre lui payait à l'année une grande chambre
double mansardée, avec salle de bains privée. C'était
bien le moins qu'ils pouvaient faire, après tout. Sa chambre était
agréable, lumineuse, refaite à neuf avec des lambris et
un parquet qui rendaient une ambiance chaleureuse. Pourtant, Deiz ne manquait
jamais de sentir une boule d'anxiété lui plomber le ventre
chaque fois qu'il tournait la clef dans la serrure. " Réception du message en cours ", l'informa sa messagerie. Oh non. " Oishikata Sushi à l'appareil, bonjour " fit une voix flûtée, à des milliers de kilomètres de la conscience de Deiz. Un nouveau message était apparu
dans la boîte de réception. Accompagné d'une pièce
jointe, ce qui était encore moins bon signe, si possible. " To : 57912162-Dei _ From : Silently ". Tout son corps se figea. Ses phalanges blanchirent, crispées sur le combiné. " Allô, oui, je vous écoute ? C'est pour une commande ? " insista la voix à l'autre bout du fil. Il raccrocha brutalement, la respiration bloquée, et se força à regarder le contenu du message. " Subject : Shadownightshade025G25E6F.56987-TGA " La boule dans son estomac prit feu. Il ferma les yeux, et laissa échapper un soupir de détresse, presqu'un gémissement. Il s'assit sur la chaise de bureau, et s'accorda une brève pause pour tenter, avec un succès tout relatif, de faire refluer la vague d'angoisse qui le submergeait, avant de trouver le courage de lancer le décryptage des données attachées au mail. Tout à coup, il n'y avait plus
le moindre doute quant à l'emploi du temps de sa soirée.
Plus le moindre foutu doute. La seule question qui se posait à
présent était : allait-il y survivre ? |